vendredi 18 juin 2021

"Les praticiens de la déception sont des artistes" Dudley Clarke

 

A l'heure où de nombreuses armées occidentales réinvestissent la guerre de l'information ou l'action dans les champs immatériels, il semble pertinent de se replonger dans les exemples que nous proposent les figures historiques du domaine. Au rang de "maître" nous trouvons le brigadier Dudley Clarke. Officier Britannique durant la seconde guerre mondiale, il est considéré comme un des pionniers des opérations de déception stratégiques. En combinant, faux ordres, éléments visuels (leurres, constructions factices...), utilisation des forces au sol, d'agents infiltrés et autres stratagèmes, il a en 1941, sous les ordres du général Wavell, constitué la célèbre "A-force", en charge de la déception à partir du Caire.

(le brigadier Clarke n'hésitait pas à se grimer pour conduire ses missions, ici lors de son arrestation à Madrid)
"every real operation should have a complementary deception"

Dudley Clarke illustre parfaitement la volonté des alliés de pratiquer  la déception et l’intoxication à une échelle rarement atteinte. À la tête de la Force A, Clarke fait appel à des magiciens, des artistes, des écrivains et des dessinateurs pour conduire avec succès ses opérations. Il fut un des artisans du célèbre plan de déception visant à assurer le succès du débarquement en Normandie le 6 juin 1944 (Bodyguard, dont l'opération Fortitude pour le front Ouest). L'opération Copperhead, partie intégrante de Bodyguard s'est par exemple appuyée sur un sosie du général Montgomery dont les déplacements en Méditéranée étaient volontairement amplifiés afin de créer la confusion sur la place et le rôle de celui-ci dans l'invasion de l'Europe.

A l'heure des combats numériques, chaque acteur en conflit peut utiliser de nombreux artifices pour appuyer et conduire des opérations de déception. Tout élément qui pourra contribuer à rendre une situation plus confuse à lire pour l'adversaire (ou plus longue à analyser) sera donc à considérer (c'est le critère d'"embrouillabilité*" :) certains se reconnaîtrons ici !). 


Extrait de guérilla 2.0 :

Les leçons de Dudley Clarke peuvent servir de base à la guérilla 2.0 dans son volet d’intoxication et propagande. 
Au-delà de l’ingéniosité nécessaire à ce type d’opérations, la constitution d’équipes pluridisciplinaires autonomes éprouvée par Clarke, doit servir de modèle aux insurrections numériques à venir.

Les conditions de succès d’une intoxication selon Dudley Clarke :

« les praticiens de l’intoxication sont des artistes »

Le général Dudley Clarke (1899-1974) est un officier d’artillerie britannique, ayant servi notamment comme officier renseignement au Moyen-Orient. Lieutenant-colonel en 1941, il est appelé par le général Wavell pour mettre sur pied une unité en charge de la déception au niveau stratégique. Il joua entre autres un rôle dans la création du Special Air Service (SAS) de David Stirling. Dudley Clark est ainsi avec la force A à l’origine de nombreux plans de déception. Auteur de plusieurs ouvrages, il y livre les trois conditions essentielles à respecter pour conduire une intoxication réussie :

1/ La définition du champ d’action et de la cible :

Pour lui, sans cette définition précise, il peut y avoir confusion entre « actions psychologiques » et « intoxication ». « La différence fondamentale entre l’intoxication et l’action psychologique réside dans le fait qu’elles s’adressent à des populations/publics/sujets cibles totalement distinctes. L’action psychologique diffuse, à partir d’une source unique, des messages destinés aux couches les plus larges de la population (…) elle s’adresse aux masses et il est peu probable qu’elle influence la pensée et l’action des échelons de l’état-major adverse. »
« L’intoxication agit selon un schéma inverse : ses messages proviennent en apparence de sources multiples, mais visent une cible unique. La tache unique du service en charge de l’intoxication consiste à dissimuler l’origine des messages (…) » 

2/ L’intoxication est un art et non une science :

« La deuxième condition est que la pratique de l’intoxication doit être reconnue comme un art et non une science, ses praticiens doivent être considérés comme des artistes et non comme des techniciens. » Seule cette approche permet de recruter des officiers qui seront créatifs et qui « auront la capacité de faire quelque chose à partir de rien, d’habiller ensuite ce quelque chose avec des éléments réels de manière à lui donner le caractère d’une évidence. (…) l’art de la créativité doit être leur qualité essentielle. »

3/ L’action vise le chef adverse et doit entraîner un changement de comportement :
En troisième lieu, Clarke précise que « ce que l’ennemi pense n’a guère d’importance » ce qui importe c’est que « le commandant en chef doit être le seul à décider ce qu’il veut que l’ennemi fasse. ». Il s’agit donc de produire un changement de comportement de l’adversaire par la mise en œuvre d’un plan d’intoxication.


Embrouillabilité ou Confusionabilité*: ce barbarisme est un critère d'évaluation qui vise à mesurer le niveau de confusion chez l'adversaire que peut créer une action de la force amie. Il ne suffit pas d'être "illisible" (l'ennemi ne comprend pas ce que je fais) mais bien de générer de la confusion (l'ennemi de comprend plus son environnement - nous, ses propres forces, ses chefs, sa zone d'action, la situation ... ).

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