Sorti il y a un peu moins de deux ans, j'avoue avoir été attiré par le titre de l'ouvrage pour alimenter mes propres travaux en matière de cyberconflictualité. La lecture "stylo en main" de l'ouvrage confirme cette intuition. Joseph Henrotin, se place dans la filiation du professeur Hervé Coutau-Bégarie, certainement le plus éminent des stratégistes français, et nous livre une présentation complète des concepts qui peuvent sembler abscons.
Au-delà de l'effet de mode lié au "buzz word" militaire pour relancer une pensée stratégique bloquée au XX° siècle, la mise en perspective historique à laquelle l'auteur se livre replace les modes d'affrontements dans une filiation cohérente. Très documenté, l'ouvrage ne se contente pas de livrer des définitions, ou de survoler les concepts, il les pèse, les confronte et permet au lecteur de se forger sa propre conviction.
Alors que l'on réduit souvent la guerre asymétrique à la guérilla et aux opérations de contre-insurrection, l'auteur revient sur la notion de techno-guérilla et son origine "étatique" notamment en explorant les écrits de Guy Brossolet (Essai sur la non-bataille, Belin, Paris, 1975). On découvre alors que, loin de se limiter aux aspects terrestres des modes d'actions de guérilla (embuscade, coup de main...) le concept englobe des "proto-stratégies" navales et aériennes. Ainsi, après avoir débattu des notions de guerre irrégulière et de guerre non-conventionnelle, l'auteur nous propose une véritable "remontée" aux sources du concept de guerre hybride et se livre à une analyse comparative entre l'école française (Brossolet), allemande (Horst Afheldt), US, tout en évoquant des exemples historiques finlandais ou israéliens.
Un développement intéressant amène à réinterroger la place de la guerre hybride dans le processus général de la guerre pour sortir de la confusion entre "menace hybride" "acteur hybride" ou "mode d'action hybride".
Dans une deuxième partie l'ouvrage, fort des bases théoriques initiales, explore la "techno-guérillas et guerre hybride" dans les opérations terrestres puis navales et enfin aérospatiales. L'impact technique et industriel de ces "incarnations" est évoqué avant de plonger dans le chapitre qui se rapproche le plus de notre sujet d'étude : "Des opérations informationnelles aux actions globales". On y évoque alors, la guerre de l'information et la capacité à mobiliser induite par l'usage des réseaux. La loi de Metcalf selon laquelle "la puissance d'un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses nodes" trouve un écho particulier lorsqu'on observe les stratégies d'influence mises en œuvre par certains acteurs (étatiques ou non) dans le cadre des conflits actuels. La "dilatation" à l'échelle mondiale d'un théâtre de guerre a ainsi des conséquences stratégiques visibles qui d'ailleurs ne sont pas propres aux opérations hybrides. Pour autant ces usages "2.0" posent de façon plus accrue la question du statut des combattants car la frontière entre soutien direct, le sympathisant et le militant tend à se brouiller (P.299).
Les riches exemples et illustrations qui alimentent l'ouvrage permettent ainsi de mesurer l'incroyable diversité des formes de "guerre hybride". Un ouvrage très complet, qui fait sortir le concept du simple effet de mode pour le replacer dans une réflexion beaucoup plus large sur l'évolution de l'art de la guerre. Un excellente lecture studieuse pour l'été !
Entretiens avec l'auteur
Présentation de l'ouvrage
Une autre recension très complète
Travaux antérieurs de l'auteur sur le sujet
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