L'étude de la "cyberconflictualité" ou, plus précisément, du combat numérique conduit régulièrement à développer des analogies et des comparaisons. Si au niveau
stratégique le parallèle avec les espaces lisses et les théories navales peut
sembler pertinent[1], au niveau
tactique la guerre numérique subit de nouvelles contraintes qui l’éloignent du
milieu maritime.
L’affrontement
tactique, et singulièrement sa déclinaison offensive, laisse apparaître de
nombreuses similitudes avec le combat en zone urbanisée (ZURB). Ainsi, pénétrer
un réseau ou un système d’information peut s’apparenter à l’assaut d’une zone
construite. Dans les deux cas, l’assaillant subit les contraintes fortes d’un
milieu qu’il ne maîtrise pas. Cartographie imparfaite, rupture de continuité
dans les actions, cloisonnement extrême, rendent donc l’approche complexe et la
conduite toujours hasardeuse.
La vision
« militaire » de la zone urbaine présente de troublants parallèles
avec le milieu numérique. On peut ainsi, dans le texte ci-dessous, aisément
substituer à l’expression « zone urbaine » le mot
« cyberespace » sans que le sens en soit altéré.
« La zone
urbaine est le lieu de pouvoir politique, social et économique, puisque s’y concentrent population, infrastructures
et activités secondaires et tertiaires. Contrôler
les villes est donc une condition nécessaire à l’exercice du pouvoir. La
zone urbaine est aussi celle du pouvoir moral, culturel ou religieux. Il est
des villes symboles parce que liées à des éléments d’identité des peuples. »[2]
Le système d’information
(SI) cible serait donc le pendant de la zone urbaine adoptant une même logique
de découpage zonal et fonctionnel. Un SI a donc, comme une ville, des zones de
stockage, des zones de services, des zones de transit, des accès limités et
contrôlés, un périmètre. Par ailleurs, l’extrême diversité des zones urbanisées
fait écho à celle des architectures de systèmes d’information. Villes moyennes,
villages, lotissements, centres historiques, périphéries sont autant de
paysages urbains distincts qui pourtant imposent des modalités tactiques
communes. L’abordage d’une localité comme le bréchage d’un système d’information
se heurte donc aux mêmes
difficultés locales. La zone des approches (généralement ouverte) est peu sûre
et le risque de détection y est important, par ailleurs il y a une discontinuité
de milieu à maîtriser et à anticiper dans les deux formes de combat : on
passe de l’extérieur vers l’intérieur d’une construction. Enfin, on note de facto l’emploi d’un vocabulaire très
similaire : approche, bréchage, pénétration, périmètre, accès et contrôle
d’accès.
Dans les deux
formes de combat, le milieu impose des contraintes lourdes aux acteurs.
De fortes contraintes liées au
milieu
En premier lieu,
l’importance de la cartographie se révèle critique. Il s’agit ainsi non pas
simplement d’identifier des lieux sur une carte, mais bel est bien de
comprendre l’architecture de la zone à aborder, son organisation logique et
donc les points clefs à saisir ou à défendre, les points de passages
obligatoires et ceux qui peuvent être contournés… Dans les deux combats, la
connaissance de la cible conditionne directement l’articulation des moyens et
le mode opératoire. Chaque bâtiment (ou chaque serveur et application) va
nécessiter la mise en œuvre de techniques adaptées. Les contraintes liées au
milieu s’incarnent également dans la variété des équipements et des configurations.
L’humain
redevient un acteur essentiel
Alors qu’au
niveau stratégique le facteur humain pesait peu, l’étude des modalités
tactiques souligne sa prégnance. Ainsi, le combattant « numérique »
est soumis à de très fortes contraintes qui relativisent la supériorité
théorique de l’attaquant. Les pressions liées à la nécessité d’être toujours
« à jour » des connaissances et des pratiques techniques, l’impact d’une
simple erreur sur l’ensemble des opérations, la distance entre l’acteur et la
cible, sont autant de paramètres qui influent sur la psychologie de l’opérateur.
On découvre par
exemple aujourd’hui que les limites à l’emploi des drones en zone de conflit
sont bien souvent liées aux fragilités psychologiques de leurs
« pilotes ». Le parallèle n’est pas totalement vrai pour le
combattant numérique, car il n’est pas confronté « au choc des
images » déportées, ni même à la mort donnée à distance (du moins pour l’instant).
Toutefois, la pression existe bel et bien, la peur de l’erreur, la crainte de
la détection, la perte de contrôle… La ressource
humaine est donc soumise à un niveau de stress important qui rend sa gestion
critique dans la durée.
Combat au cœur des
structures civiles : dualité des cibles
L’action
numérique vise des structures, des réseaux, des automates qui, pour être d’intérêt,
ne sont pas forcément proprement de nature militaire. Comme le combattant en
zone urbaine, l’objet de la manœuvre n’est plus une structure adverse ou une
unité mais un lieu de pouvoir, ou symbolique (la prise du Reichstag, la
radiotélévision, l’usine de tracteurs Dzerjinski à
Stalingrad,…). La dualité des
cibles a donc des conséquences juridiques et éthiques pour le combattant numérique,
mais impose surtout de maîtriser un ensemble beaucoup plus vaste de
connaissances. Le combat dans ce milieu surexpose par ailleurs les forces
armées au jugement des opinions publiques.
Combat numérique
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Combat en ZURB
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Points clefs
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Conception très centralisée, exécution décentralisée.
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Conception hyper centralisée, exécution décentralisée.
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Dualité des cibles.
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Discrimination difficile, combat au sein des populations.
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Contraintes
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Contrainte d’un milieu
« non cartographié », combat dans un milieu « non
déterministe », rupture de continuité (différents matériels, langages,
protocoles).
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Forte contrainte d’un milieu cloisonné. Ruptures de continuité, immeubles, étages,
réseaux souterrains…
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Contraintes humaines :
La ressource humaine nécessaire à la conduite des
opérations est rare. Les techniques évoluent rapidement et nécessitent un
maintien des compétences.
Incertitude et stress de l’exécutant qui craint d’être
détecté. Isolement psychologique, usure.
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Contraintes humaines :
Combat au sein des populations, usure physique rapide du
combattant, isolement conséquence de la décentralisation de l’exécution.
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Impératifs
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L’exécution doit être autonome dans son action (pas de
subordination opérationnelle).
Disposer de capacités locales d’ingénierie.
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Préserver la liberté d’action des petits échelons.
Assurer la coordination interne.
Disposer d’une articulation interarmes au plus bas
niveau.
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