"Bertrand Boyer, Cybertactique. Conduire la guerre numérique, Nuvis, Paris, 2014. Il s’agit du deuxième ouvrage de Bertrand Boyer après Cyberstratégie : l’art de la guerre numérique en 2012. Préfacé par le contre-amiral Arnaud Coustillère, officier général responsable de la cyberdéfense au ministère de la Défense, cette nouvelle œuvre de Bertrand Boyer aborde désormais non plus la cyberstratégie mais la cybertactique.
La distinction entre tactique et stratégie
peut se décliner de diverses façons – toutes
abordées dans l’ouvrage. Parmi celles proposées on peut lire : « La tactique se distingue
fondamentalement de la stratégie car elle est
un “art appliqué”, la tactique n’est pas le fruit
du raisonnement théorique, elle s’applique à
un ennemi, une situation, une technologie,
pendant un instant et en un lieu. »
Bertrand Boyer, saint-cyrien, breveté
de l’École de guerre et diplômé de Télécom
ParisTech, propose un ouvrage clair, synthétique et méthodologique. Les tableaux et
schémas sont assez nombreux et permettent
de maintenir cet aspect pédagogique durant
toute la lecture. La qualité majeure de l’ouvrage est qu’elle s’adresse à tous et sera une
réelle source de réflexion pour les lecteurs
de tous horizons qui s’intéressent aux problématiques liées à la cyberdéfense.
Dans ce deuxième ouvrage, il approfondit à une échelle plus opérationnele la notion
de cyberdéfense, partant des conclusions de
son premier ouvrage pour développer la
question de la conduite des opérations dans
le cyberespace, pour enfin aborder les défis
de ce qu’il appelle désormais la guerre
numérique.
Les concepts et doctrines émergents de
la tactique numérique sont particulièrement
présents et abordent par exemple l’organisation ainsi que la vision états-uniennes de la
cyberdéfense. Qu’en est-il de l’organisation
et du processus décisionnels aux États-Unis ? Les concepts de Network-Centric
Warfare (NCW) et de Fourth Generation
Warfare (4GW) sont, entre autres, abordés.
Après avoir détaillé les flous terminologiques
liés au concept de cyberstratégie,
notamment en se posant de multiples questions comme « le cyberespace
est-il géopolitique ? » ou « le cyberespace est-il espace,
territoire, ou autre chose ? », Bertrand Boyer
aborde une classification méthodique dans
un but tactique de tous les éléments composant la cyberdéfense :
notamment les acteurs
concernés, la cible, la nature de l’attaque,
la raison de l’attaque, l’arme utilisée.
Il construit au fil des pages une grille d’analyse qu’il transpose
simultanément aux doctrines de la tactique militaire française ainsi
qu’aux méthodes de renseignement. Ceci
n’est pas une vision originale des démarches
françaises mais elle synthétise finalement ce
qui a été fait jusqu’à aujourd’hui.
Les outils utilisés dans les opérations
numériques connues, tels Stuxnet, Flame,
Duqu, ou moins connues, tels Wiper ou
Gauss, sont analysés par le prisme de l’intérêt
tactique et du fonctionnement opérationnel.
C’est par des études comparatives que
l’auteur amène une nouvelle réflexion sur
la cybertactique. Ses études trouvent leurs
sources dans la doctrine militaire française,
les écrits de théoriciens comme Clausewitz,
Napoléon et Galula ou, plus atypique, à
travers des comparaisons éthologiques. La
comparaison entre la tactique en zone urbaine
et la cybertactique, appuyée sur la tactique
générale du Centre de doctrine et d’emploi
des forces de l’armée de terre (p. 121), met
en relief des parallèles qui prêtent à réfléchir.
Dans un tableau (p. 172), Bertrand Boyer
transpose le modèle contre-insurrectionnel
de Galula au monde numérique. L’image du
loup, chassant de façon solitaire ou en meute,
offre par exemple une analyse comportementale du hacker. Aussi, plus globalement, les
modalités stratégiques comme le choc, le feu
et la manœuvre sont directement appliquées
au cyberespace.
Bertrand Boyer entame finalement ici
l’audacieux projet de poser les bases des
prochaines réflexions tactiques adaptées au
cyberespace. L’avenir nous dira si son objectif est atteint, mais la qualité de l’ouvrage
peut nous le laisser penser, d’autant qu’il a
reçu le prix du Livre cyber au Forum international de cybersécurité 2014.
Thomas Le Port"
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